Pollution D’après Public Eye, certains des carburants analysés présentent jusqu’à 378 fois plus de soufre que la teneur autorisée en Europe.
L’Afrique a de plus en plus soif. En eau certes, mais également en carburant avec l’explosion ces dernières années du nombre d’automobiles. Les grandes villes du continent ploient en effet sous des flots infinis de véhicules et souffrent d’une pollution atmosphérique croissante.
Public Eye, l’ONG (organisation non gouvernementale) longtemps appelée Déclaration de Berne, dévoilait hier les conclusions d’une enquête sur le rôle de certains négociants suisses dans la production et l’écoulement de carburant toxique (mais respectant les normes locales) dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest. Des pratiques jugées illégitimes par l’ONG suisse, puisqu’elles contribuent justement à augmenter la pollution de l’air dans de nombreuses villes africaines.
Une enquête de trois ans
A l’origine de ce travail de longue haleine: un précédent scandale, celui du Probo Koala, ce navire affrété par le géant Trafigura qui a déchargé en 2006 plus de 500 tonnes de déchets toxiques à Abidjan, en Côte d’Ivoire. «Nous avions alors découvert qu’ils étaient le résultat d’un processus de raffinage improvisé visant à produire un produit pétrolier semi-fini pour la fabrication d’essence à haute teneur en soufre. En parallèle, nous avions constaté que des négociants suisses se déployaient sur toute la chaîne d’approvisionnement des carburants en Afrique, en achetant des entrepôts et des réseaux de stations-service», explique Géraldine Viret, responsable de la communication et membre de la direction de Public Eye.
Entre 2013 et 2015, les enquêteurs de l’ONG sont donc partis en quête d’échantillons prélevés directement à la pompe. Les résultats des prélèvements réalisés dans huit pays africains se sont vite avérés concluants, puisqu’ils présentaient jusqu’à 378 fois plus de soufre que la teneur autorisée en Europe, mais également des substances encore plus nocives comme du benzène ou des aromatiques polycycliques. «Le pire est que ces négociants ne se sont pas seulement contentés de commercialiser ce mauvais fuel, ils l’ont fabriqué à dessein», dénonce Géraldine Viret. La méthode de production serait relativement simple puisqu’elle se résumerait à mélanger diverses qualités de substances pétrochimiques pour créer une essence de «qualité africaine». Réaction des négociants
Pour en comprendre l’ensemble des tenants et aboutissants, Public Eye s’est également rendue dans la fameuse zone ARA (Amsterdam-Rotterdam-Anvers), véritable cœur pétrolier mondial. C’est là, en effet, que les négociants suisses possèdent les infrastructures (raffineries et dépôts) leur permettant de produire du carburant. Plusieurs négociants sont pointés du doigt par l’ONG suisse, dont Trafigura (présente à Genève et Lucerne), Vitol (présente à Genève) ou encore ou Addax & Oryx.
Ayant reçu les résultats de l’enquête plusieurs jours avant sa publication, ces derniers n’ont pas tardé à réagir aux accusations de Public Eye. Globalement, ils se retranchent tous derrières les exigences réglementaires locales. «Elles sont imposées par le gouvernement et ne peuvent pratiquement pas être modifiées par des fournisseurs privés», répond Trafigura dans une prise de position envoyée par e-mail.
Si Vitol évoque également cet argument, ce dernier considère en plus le rapport de Public Eye comme inexact et mal informé. «Nous ne contrôlons pas la chaîne d’approvisionnement où le produit de plusieurs fournisseurs (y compris celui des grandes compagnies pétrolières) est mélangé. Nous sommes donc incapables de déterminer la qualité du carburant vendu à la pompe», prétend par exemple le négociant.
Quant à l’association des raffineurs africains (ARA) – dont Trafigura, Vitol et Addax & Oryx sont membres – elle assure par un courrier adressé mercredi directement à l’attention de Public Eye travailler depuis plus de dix ans à l’amélioration de la qualité des produits pétroliers destinés au marché africain. «D’entente avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement, nous travaillons à la mise en place d’une feuille de route claire pour améliorer d’ici à 2030 la qualité du carburant en Afrique, avec une étape intermédiaire en 2020», écrit son secrétaire exécutif, Joël Dervain.
Tous assurent en effet être prêts à améliorer la donne… si cela est possible. Puma Energy, une filiale de Trafigura, confirme dans une prise de position par écrit «accueillir favorablement l’appel de Public Eye pour un resserrement des normes de qualité du carburant vendu dans les pays africains et être prêt à soutenir la coopération entre les gouvernements et l’industrie pour atteindre un tel objectif.»
Lancement d’une pétition
En parallèle à la publication de son enquête, Public Eye lançait hier une pétition à Berne adressée justement à l’attention de Trafigura. «Cette société (ndlr: basée à Genève) affirme vouloir devenir un «leader reconnu en matière de responsabilité sociale» et orienter ses pratiques sur les principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et droits humains, réagit Géraldine Viret. Nous leur donnons l’occasion de joindre les actes à la parole, en s’engageant à ne vendre que des carburants conformes aux normes européennes partout dans le monde.»
Pour accompagner sa pétition, l’ONG suisse et ses partenaires africains renverront à la fin du mois de septembre un conteneur rempli d’air pollué de la capitale ghanéenne, Accra, aux bureaux genevois de Trafigura. (TDG)
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