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Religions, sectes et destin de l’Afrique

nkoth_bissek_portraitLes sectes et les religions sont les fers de lance de puissances expansionnistes, lesquelles finissent toujours par s’entendre aux dépens d’une Afrique abusée par leurs querelles de diversion, divisée et empêtrée dans les filets de leurs systèmes. Les Africains doivent savoir que le discours sur l’esprit ou sur Dieu est le lieu crucial où se joue leur destin. Tout en restant ouvert au monde, ils doivent veiller à préserver l’intégrité de leur socio-culture et s’investir sans attendre dans leur propre quête de la Valeur qui est la condition de leur accès à l’excellence.

La force des peuples conquérants réside d’abord dans la manière dont ils parviennent à imposer aux autres le sens, c’est-à-dire leur définition de ce qui vaut, de ce qui est bien, de ce qui est juste, vrai, beau, et qui, seul, mérite d’être. C’est cette capacité d’apposer le sceau dogmatique de la validité universelle de leurs normes et du discours qui les exprime, la facilité avec laquelle ils orientent leur signification selon leurs intérêts de circonstance, qui assurent leur victoire sur les autres, avant tout combat. Le savant africain Cheikh Anta Diop l’a compris : « L’impérialisme, comme chasseur de la préhistoire, tue d’abord spirituellement l’être avant de chercher à l’éliminer physiquement ».

Les sectes, comme les religions importées, représentent l’avant-garde des puissances expansionnistes en Afrique. Ces puissances se livrent depuis toujours une guerre pour la maîtrise de l’espace socioculturel planétaire, lequel ouvre la porte aux futures dominations politiques, économiques, technologiques, à ceux qui le contrôlent. La modalité première de cette guerre consiste en l’usage d mots fétiches comme secte qui, à l’instar d’autres, comme science, démocratie ou développement, ont valeur de verdict. Les promoteurs des systèmes idéologiques à vocation expansionniste affectent à ces termes la signification qui leur convient et qui ne réfère qu’accidentellement à leur acception canonique. Toute organisation  idéologique concurrente qui émerge est d’office qualifiée de secte et donc, condamnée à se justifier ou à abjurer. Autrefois, la disqualification par Rome du paganisme ou la chasse donnée par le Saint-Office à l’hérésie, n’avaient cure de savoir qu’étymologiquement, un païen (du latin, paganus, pagus : un pays) n’est que celui qui pratique la religion de son pays, ou qu’une hérésie (du grec hairésis) ne désigne que l’attitude de celui qui se fonde sur ses convictions personnelles, dûment établies, plutôt que sur des idées reçues.

Les Africains qui adhèrent à des organisations à caractère spirituel ou philosophique, d’origine occidentale ou orientale, différentes des églises judéo-chrétiennes ou islamiques dominantes, importées par la colonisation, sont mis à l’index par ces dernières. Ils se perdent en plaidoyers lexicologiques, juridiques, historiques et autres professions de foi pour se laver de l’accusation d’être de vilains sectateurs. Ils s’efforcent d’établir qu’ils sont d’honorables adeptes d’églises ou d’ordres philosophiques nobles, et attendent anxieusement d’être reconnus comme tels. Ils se laissent distraire comme ces victimes auxquelles les larrons font les poches pendant qu’elles sont fascinées par leurs complices.

Les anathématiseurs, comme leurs victimes, oublient que les commanditaires extérieurs qui les déterminent partagent fondamentalement une origine et des intérêts communs ; qu’ils finissent toujours par s’entendre sur le dos de l’Afrique. Ce fut le cas à Berlin (1884-1885), à Yalta (1945) et une fois la guerre terminée. Les chrétiens et les musulmans ont fini par s’entendre sur la conduite mutuelle à respecter ; ils se sont repartis les rôles et les régions dans leur chasse à la conversion de l’autochtone. Les protestants et les catholiques ont depuis longtemps enterré la hache de guerre de positions qui les a opposés depuis les débuts de la colonisation par familles et par population sœurs africaines interposées, et qui ont laissé des cicatrices vives dans nos sociétés. Bientôt, les sectes et les religions vont fumer le calumet de la paix, et les victimes de tout ce cirque resteront les mêmes : les Africains naïfs, une fois de plus abusés, divisés, désorientés et plus que jamais pris dans les rets de la dépendance idéologique.

Le destin des civilisations est l’enjeu de la quête du spirituel

Après 400 ans de traite des nègres et de colonisation, les Africains semblent avoir perdu la capacité de voir le monde et la vérité, de penser par leurs propres moyens. Ils semblent avoir perdu toute confiance en eux et toute référence à leur propre système des valeurs e institutions. Ils ne savent pas qu’aucun peuple dans l’histoire, aucune nation, ne s’est réellement constitué à partir des canons et des pratiques définies et téléguidées de l’étranger. Toutes les civilisations qui ont connu des heures de gloire sont passées par un moyen inévitable d’autodétermination socioculturelle qui procède par l’identification par soi-même du principe d’excellence et par sa mise en œuvre. La puissance et la pérennité de l’Egypte nègre sont imputables à sa connaissance et sa mise en œuvre de la Maât. La civilisation grecque repose fondamentalement sur la maîtrise du logos. La naissance de la modernité en Europe par sa quête médiévale du saint graal. L’Inde doit beaucoup à Dhyana. Le Tao est l’essence de la culture chinoise originelle comme le Zen est celle de la civilisation du Japon. Des peuples frères, liés par l’espace et par l’histoire, n’ont pas hésité à choisir chacun leur interprétation personnelle d’une vision du monde et des valeurs qui leur sont pourtant fondamentalement communes : Israël est juif et son frère arabe est musulman. La France est la fille aînée de l’église catholique, l’Angleterre est anglicane, l’Allemagne luthérienne, l’Amérique protestante, et la Russie orthodoxe. La guerre qu’ils se livrent, tout le long de l’histoire, pour le contrôle de la socioculturelle planétaire, a pris des noms aussi divers que les croisades, l’inquisition, le massacre de la Saint-Barthélemy, la chasse aux sorcières, l’évangélisation des peuples, l’inculturation de l’évangile ou la récente offensive contre les sectes.

Seule l’Afrique demeure le terrain de chasse libre pour les prosélytismes de tous bords et prétend syncrétiser tous ces systèmes sans n’en posséder aucun qui lui soit propre. Elle ne dispose plus de critères du bon choix, d’une lecture du monde sûre et partagée par ses enfants. Elle devient le jouet de tous ceux qui visent de contrôler son patrimoine et ses ressources et qui, pour ce faire, opposent ses enfants les uns aux autres, au gré des intérêts à courte vue et d’affiliations pseudo philosophiques, idéologique, politiques ou économiques. Cette situation que les sociologues qualifient d’anomalie la conduit, de guerres fratricides en braderie de ses ressources, à la perte de la maîtrise de son destin. Elle s’enfonce dans le marasme de la dépendance à tous égards.

Les Africains doivent comprendre que le discours sur Dieu, sur le spirituel, n’est pas un système réservé aux suppôts des puissances idéologiques étrangères, ni le privilège de pseudo philosophes en manque d’inspiration pour leurs gloses. Ce discours est le lieu crucial où se joue le destin d’une nation en tant que productrice de son histoire et contributrice à l’évolution de la création. Tout peuple qui renonce à pratiquer le culte de ses propres dieux abdique de ses droits de citoyen actif et souverain de l’Univers. Il mérite et subit les méfaits de ce manquement car l’Univers est impitoyable pour les impies, pour ceux qui déshonorent leurs ancêtres.

Les Africains doivent recentraliser leur quête de la spiritualité et de la pensée. L’histoire montre que les institutions qui cherchent à étendre leur influence hors de leur société d’origine et à conserver la direction de cette influence ont systématiquement des visées qui débordent les beaux principes dont elles s’entourent. Elles constituent de véritables chevaux de Troie qui cachent, sous des apparences angéliques, la volonté hégémonistes et impérialiste de leurs pays commanditaires. Des enquêtes menées dans le monde nous révèlent chaque jour que des sectes et des religions ayant pignon sur rue se livrent à des activités occultes les moins avouables, tant sur les plans moraux, humains que sociaux, qui vont de la perversité organisée à la criminalité de sang, passant par la magouille politico financière et la sous-traitance occulte de la violence d’Etat. Elles ont révélé que la secte d’origine japonaise Aum qui a défrayé la chronique aurait partie liée avec la Sokagakai et le pouvoir militaro-industriel japonais. On en sait beaucoup plus sur les implications de la secte Moon dans les affaires américaines, européennes et asiatiques. Si l’on croit tout savoir sur la montée des intégrismes musulmans, on entend beaucoup moins parler de l’activisme catholique, entretenu notamment par l’Opus Dei, sa garde blanche. La liste est loin d’être exhaustive.

Toute organisation qui demande à des groupes d’hommes et de femmes dont elle ne constitue pas l’émanation naturelle de la suivre, dans ses dogmes, ses préceptes et prescriptions spirituelles, philosophiques, biologiques ou politiques, est une secte (du latin : suivre) au premier rang desquelles nous plaçons les églises importées établies. Elle est susceptible de poursuivre des objectifs conformes à des intérêts propres, aux dépens de ceux qu’elle séduit et aliène. Nos ancêtres ont dit : « Ne fais confiance qu’à ton fétiche que tu connais » et « Si le devin t’interdit le retour chez toi, c’est qu’il t’a caché ta mort ».

Gérard Galtier qui souligne l’importance de l’activité de la Rose-Croix Amorc en Afrique noire conclut son analyse fort documentée par ces propos : « Espérons pour les Africains qu’ils cessent d’être la proie des impérialismes de tous bords et, en ce qui concerne le domaine philosophique et spirituel, qu’ils apprennent à reconstruire d’authentiques religions africaines modernes, fondées sur l’antique tradition chamanique et animiste et s’exprimant dans les grandes langues véhiculaires africaines (…), seules aptes à préserver leur héritage conceptuel et symbolique, et à protéger leur environnement politique, économique et culturel ». Nous ne saurions trop insister sur la portée de cette exhortation.

Les Africains peuvent s’ouvrir à n’importe quelle religion ou cercle philosophique du monde. Le devoir d’en appréhender les enjeux réels peut même conduire à y adhérer. Mais, ils se doivent de préserver l’intégrité de leur espace mental et socioculturel dont dépend leur survie en tant que nation. Cela passe par un respect, une disponibilité et une loyauté sans faille vis-à-vis des institutions sacrées de leur propre tradition. Ils doivent s’assurer en permanence que les institutions avec lesquelles ils traitent respectent les Africains dans leur choix et dans l’expression qu’ils estiment adéquate de leurs sentiments, de leur créativité dans tous les domaines ; qu’elles n’attentent pas au patrimoine symbolique et matériel africain ; qu’elles soient disposer à restituer celui qu’elles auraient indûment acquis et à contribuer à la réparation des torts infligés à leur peuple et à sa terre ; qu’elles limitent leur action à la pratique des préceptes admissibles qu’elles avancent comme raison de leur action, et que cette pratique est compatible avec les principes qui régissent l’ordre culturel africain.

Diversion

Les Africains informés savent que dans ses principes, ses fins et ses modalités, leur spiritualité n’a rien à envier aux autres. Qu’elle ne leur doit rien et n’attend d’eux ni grâce, ni salut, ni libération, ni développement, ni une quelconque reconnaissance ou certificat et encore moins le droit de faire l’objet de cultes et de rites qui manifestent l’attachement du peuple à ses valeurs. Ils ne sollicitent par conséquent aucun compromis avec qui que ce soit. Ils n’acceptent plus les agressions idéologiques des puissances hégémonistes et qui, toujours, sont le prélude de leurs exactions socio-économiques et de la fin des institutions et valeurs de leurs victimes.

Les valeurs et les institutions spirituelles compatibles avec l’unité et la promotion des Africains seront d’abord africaines, par les principes auxquels elles souscriront, par leurs dirigeants, par l’ensemble des moyens symboliques et matériels qu’elles auront choisis pour arriver à leurs fins, à la fois spirituelles, morales, sociales et matérielles. Le débat entre les sectes, les religions et autres idéologies importées est une diversion pour les masses. Ils ne concernent en rien les Africains.

Mbombog Nkoth Bisseck

1955-2007

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