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Bolloré espion ou pion ?

CANADA-ECONOMY-FRANCE-BOLLORE     Ce n’est pas parce qu’on est ami avec quelqu’un qu’il n’y a pas d’éthique dans nos rapports

 commentait sobrement M. Vincent Bolloré alors qu’on l’interrogeait sur les luxueuses vacances offertes au président Nicolas Sarkozy en 2007. De fait, le groupe dirigé par l’industriel français occupe une place particulière dans l’économie nationale : impliqué dans les films plastique, les transports ou l’énergie, il dispose de plusieurs filiales qui bénéficient parfois de contrats avec l’Etat. Créé en 1822, toujours détenu majoritairement par la famille Bolloré, le groupe se place parmi les cinq cents premiers conglomérats du monde. S’il est implanté un peu partout, l’Afrique semble sa terre d’élection. Là, la guerre industrielle fait rage, notamment pour la concession des ports récemment privatisés. Ce sont les relations du groupe avec des régimes locaux peu scrupuleux — tel celui de M. Charles Taylor au Liberia, ou celui du « Françafricain » Paul Biya au Cameroun — qui l’ont mis sous le feu de la critique. Mais M. Bolloré peut compter sur un solide réseau d’amitiés politiques et sur les médias qu’il contrôle pour se défendre.

« Pour nous, les médias, il offre  l’image parfaite du héros contemporain. Renouant avec les chevaliers d’industrie,  il nous ferait oublier la crise. »  Reportage de TF1 sur Vincent Bolloré (1).

Pendant longtemps, les médias français se sont attendris sur le visage poupin de M. Vincent Bolloré. Le « petit prince du cash- flow », comme on l’appelait dans les années 1980, incarnait le « capitalisme nouveau », l’entrepreneur éthique, qui avait su concilier paix sociale et rentabilité financière. Micros et caméras se bousculaient devant le responsable de la Confédération générale du travail (CGT) de sa papeterie d’Odet, en Bretagne, qui affirmait main sur le cœur vouloir « jouer le jeu du profit » et préférer la « modernité à la lutte des classes ».

Mais le portrait du golden boy breton des « années fric » a, depuis, pris quelques rides. Il y eut d’abord ces opérations boursières dans les années 1990, contre le groupe Bouygues en particulier, qui lui valurent une réputation d’homme d’affaires rapace, empochant de juteux dividendes sur les cadavres trahis. Il y eut aussi cette familiarité affichée avec insolence, de son yacht de luxe à son jet privé, avec un Nicolas Sarkozy fraîchement installé à l’Elysée. Soupçons, collusions, l’ange milliardaire est, dans une partie de la presse, devenu démon (2).

Et voilà que remonte à la surface une autre facette de M. Bolloré : les activités de ses entreprises en Afrique. En vingt ans, ce continent est devenu un des piliers d’un groupe dont il a longtemps constitué la « face cachée ». L’Afrique ne représente, certes, qu’un quart de son chiffre d’affaires officiel (1,4 milliard d’euros sur 6,4 en 2007). Mais, avec ses dix-neuf mille salariés, ses deux cents agences réparties dans quarante-trois pays et les installations hautement stratégiques qu’il contrôle (ports, transports, plantations), M. Bolloré y agit comme un empereur conquérant dont les réseaux politiques et médiatiques constituent les armes favorites.

La bataille qui fait le plus de bruit dans les médias est celle des ports africains, lesquels constituent la clef de voûte de son réseau local de transport et de logistique. Le groupe Bolloré est en effet propriétaire de plusieurs sociétés qui ont fait fortune, à l’époque coloniale, dans le transport, le transit et la manutention des produits d’import-export avec le continent. Les deux principales sont la Société commerciale d’affrètement et de combustibles (SCAC) d’une part, rachetée en 1986 et fusionnée par la suite avec d’autres branches du groupe pour donner naissance à SDV Logistique internationale ; et d’autre part SAGA, sœur jumelle de la précédente, rachetée après moult intrigues en 1997. En outre, Bolloré profite de la vague de privatisations imposée aux pays africains par les institutions financières internationales (IFI), obtenant la concession d’infrastructures stratégiques héritées, elles aussi, de l’époque coloniale — comme, en 1995, la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail), qui relie le Burkina Faso à la Côte d’Ivoire, et, en 1999, la Camrail, compagnie ferroviaire du Cameroun qui joue un rôle essentiel dans le désenclavement du Tchad et de la Centrafrique.

En ce qui concerne les installations portuaires, Bolloré a — en seulement cinq ans — raflé, à travers ses différentes filiales et parfois en partenariat avec d’autres opérateurs, la gestion de plusieurs terminaux à conteneurs mis en concession : Douala (Cameroun), Abidjan (Côte d’Ivoire), Cotonou (Bénin), Tema (Ghana), Tincan (Lagos, Nigeria) et plus récemment Pointe-Noire (République du Congo)…

En connexion avec les deux cents agences dont dispose le groupe dans une quarantaine de pays africains, et avec ses chemins de fer, ses milliers de camions et ses millions de mètres carrés de surface de stockage, la gestion des ports assure de fait au groupe Bolloré une redoutable emprise sur le continent. Sous la marque ombrelle Bolloré Africa Logistics, créée en septembre 2008, il est devenu le« premier réseau intégré de logistique en Afrique » (3). Mais, derrière les communiqués triomphants, c’est une véritable guerre aussi politique qu’économique qui se joue autour des ports africains.

Ainsi, pour remporter la concession de celui de Dakar en 2007, M. Bolloré a utilisé tous ses leviers d’influence. Outre son affichage au côté de M. Sarkozy, il a mobilisé MM. Alain Madelin et François Léotard pour appuyer son dossier, et missionné M. Arnaud Lagardère pour tenter de décourager son principal adversaire, le mastodonte des Emirats arabes unis Dubai Ports World (DPW) (4). Il a aussi fait consacrer une émission spéciale au président sénégalais sur la chaîne de télévision de son groupe, Direct 8, et une double « une » dans ses journaux dits gratuits, Matin plus (devenu au début de 2008Direct matin plus) et Direct soir. Avec un titre d’une touchante sobriété : « Abdoulaye Wade : un grand d’Afrique » (Direct soir,20 mars 2007)…

Ces efforts ne furent pourtant pas récompensés : la gestion du terminal portuaire de Dakar échut finalement à DPW en octobre 2007. Bien qu’il conteste en sous-main cette attribution, M. Bolloré n’en garde pas moins, devant la presse, le sourire des beaux joueurs. Et entonne le refrain libéral : l’échec sénégalais ne démontre-t-il pas que, loin de la fuir, comme on l’en a toujours accusé, son groupe joue le jeu de la saine concurrence ? N’est-ce pas la preuve qu’il n’y a, pas plus au Sénégal qu’ailleurs, de « chasse gardée » pour les multinationales françaises (5) ? « Si on gagne, on gagne, si on perd, on perd, c’est la vie des affaires », conclut-il, philosophe (6).

Une jolie façon d’enterrer les polémiques qui entourent l’attribution des concessions portuaires dont il a lui-même bénéficié, comme à Douala au Cameroun, ou à Abidjan, où l’Etat ivoirien lui a confié ce marché de gré à gré (et en pleine guerre…), en 2004.

Le sourire forcé de M. Bolloré après le camouflet de Dakar s’explique par une autre guerre, plus sourde, plus violente encore : celle qui l’oppose à un autre de ses concurrents, Progosa. L’affrontement, fratricide, dure depuis plusieurs années sur fond de lutte de réseaux politico-affairistes. Le patron de Progosa, M. Jacques Dupuydauby, est en effet l’ancien dirigeant de la SCAC, débarqué au moment de la reprise de l’entreprise par M. Bolloré en 1986. Après être passé chez Bouygues, puis s’être un temps rallié à M. Bolloré, M. Dupuydauby s’est à nouveau opposé à ce dernier pour la gestion des ports africains, notamment au Togo.

La concurrence acharnée entre les deux hommes s’est rapidement muée en guérilla judiciaire, en Europe et en Afrique, avant de prendre des allures de conflit entre clans : alors que Bolloré est jugé proche du président Sarkozy, Progosa est peuplé de « chiraquiens » (7). Et voilà que, à l’intersection de la guerre médiatique et de la barbouzerie politico-économique, un ancien gendarme affirme avoir enquêté sur un collaborateur de M. Dupuydauby, à la demande de la société d’intelligence économique GEOS mandatée par M. Bolloré (8). « Mensonge, diffamation, escroquerie ! », crie-t-on chez Bolloré. Manifestement, la « vie des affaires » n’est pas qu’un hobby de gentlemen…

Si les ports africains sont à ce point convoités, c’est qu’ils constituent d’inestimables sources de pouvoir à la fois politique et économique : grâce à eux, douanes obligent, de nombreux Etats remplissent leurs caisses ; à travers eux aussi, on contrôle, information précieuse, les flux entrants et sortants du continent… « L’Afrique est comme une île, reliée au monde par les mers,expliquait un ancien du groupe Bolloré en 2006. Donc, qui tient les grues tient le continent (9) !  » L’enjeu paraît d’autant plus important que l’arrivée sur le continent noir de nouvelles puissances, la Chine en tête, donne du souffle à ceux qui se proposent d’assurer la logistique, le transit et le transport des marchandises.

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Fort bien implanté dans ce secteur, le groupe Bolloré affiche régulièrement des résultats records. « En Afrique de l’Ouest, nos parts de marché sur les matières premières sont de l’ordre de 50 à 70 % suivant que l’on parle du cacao ou du coton, nous explique, réjoui, M. Dominique Lafont, directeur général « Afrique » du groupe. En Afrique de l’Est, elles sont plutôt de 15 à 30 %. Mais, partout, nous sommes le premier opérateur. » Le conglomérat multiplie aussi les contrats dans le domaine de la logistique pétrolière, minière ou industrielle : avec Total en Angola, au Cameroun ou au Congo ; avec Areva pour l’uranium du Niger ; pour des mines d’or au Burkina Faso ou une centrale électrique au Ghana, etc.

Comme pour toutes ses activités africaines, M. Bolloré fait jouer ses réseaux afin de remporter les marchés. « Les ministres, on les connaît tous là-bas, indique ainsi le directeur général du groupe Gilles Alix. Ce sont des amis. Alors, de temps en temps — je vais être clair —, on leur donne, quand ils ne sont plus ministres, la possibilité de devenir administrateurs d’une de nos filiales. C’est pour leur sauver la face. Et puis on sait qu’un jour ils peuvent redevenir ministres (10).  » Au Gabon, le groupe, qui convoite la mine de fer géante de Belinga, bientôt exploitée par les Chinois, a placé la fille du président Omar Bongo, Pascaline, à la tête de sa filiale Gabon Mining Logistics. Fort de ces soutiens multiples, Bolloré évolue en bonne harmonie avec les pouvoirs amis, dans la plus pure tradition de la « Françafrique ».

En France aussi, le groupe recrute, depuis longtemps, des hommes influents. Le plus connu est sans doute M. Michel Roussin, un des « Messieurs Afrique » du groupe depuis plus de dix ans. Il s’était distingué dans un livre sur l’Afrique publié, en 1997, dans une collection dirigée par le beau-frère de M. Bolloré, l’ancien ministre Gérard Longuet (11). Mais c’est surtout en tant qu’ancien haut cadre des services secrets français, ancien homme de confiance de M. Jacques Chirac et ancien ministre de la coopération de M. Edouard Balladur, que M. Roussin, par ailleurs vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef) International, intéresse M. Bolloré.

Difficile de démêler les connexions multiples qui existent entre le groupe, digne héritier des trusts coloniaux et des réseaux françafricains, et les responsables politiques français. Comme d’autres conglomérats, il bénéficie de l’appui des pouvoirs publics dans sa conquête des marchés du continent, le président de la République ou les ministres se transportant volontiers en Afrique pour jouer les lobbyistes auprès de leurs homologues. Si les amitiés de M. Bolloré à droite sont connues, on note que le député socialiste Jean Glavany fait partie, aux côtés de M. Alain Minc, du comité stratégique du groupe.

En outre, les activités africaines du groupe Bolloré bénéficient, indirectement, de certains programmes d’aide publique pour le développement des infrastructures et, directement, de contrats publics. Ces derniers concernent « des sommes résiduelles, conteste M. Bolloré devant son biographe officiel, et uniquement dans des secteurs où personne ne veut s’aventurer ; par exemple, le transport en Afrique, où nous sommes les seuls. Tout cela représente quelques dizaines de millions d’euros, c’est-à-dire moins de 1 % de notre chiffre d’affaires (12)  ». Tout « résiduels » qu’ils soient, ces contrats publics — notamment avec les ministères des affaires étrangères ou de la défense — relèvent en général d’intérêts stratégiques. Quand la France envoie — ou rapatrie — des troupes en Afrique, comme pour l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire (13), les nombreuses filiales du groupe Bolloré apparaissent souvent indispensables. « Toutes les opérations sont réalisées avec la plus stricte sécurité et confidentialité »,lit-on, en surimpression d’images de véhicules blindés, sur un prospectus distribué par la branche « Défense » de SDV…

« Opérateur de référence sur l’ensemble des axes africains de transport », comme il aime se présenter, le groupe peut donc prospérer indifféremment en temps de paix et en temps de guerre. L’Organisation des Nations unies fait fréquemment appel à ses services quand elle envoie des casques bleus. Et Bolloré est intervenu dans le cadre de la Force de l’Union européenne (Eufor) envoyée au Tchad. Au Soudan, pays pétrolier ravagé par des années de violence, ses filiales font, de l’aveu même de leurs responsables, de fructueuses affaires simultanément dans les logistiques humanitaire… et pétrolière (14).

S’il ne rechigne pas à communiquer sur l’aspect « humanitaire » de son activité (« une manne considérable », selon un responsable de SDV), le groupe ne fait pas toujours preuve — c’est une litote — de la même transparence. On a pu ainsi s’étonner de ses excellentes relations avec M. Denis Sassou Nguesso au moment où, à la fin des années 1990, celui-ci revenait au pouvoir au « Congo-Brazzaville » à la faveur d’un coup d’Etat et au prix d’une très sanglante guerre civile (15). Les liens entre le groupe et M. Charles Taylor, à la même période, ne sont pas moins obscurs. Comment se fait-il, s’interrogeait-on en 1998, que la société belge Socfinal, dont Bolloré est l’un des principaux actionnaires, ait obtenu la concession d’une immense plantation d’hévéas au moment même où M. Taylor prenait, dans le sang, le pouvoir au Liberia ?

Liaisons dangereuses en Sierra Leone

Sans citer expressément M. Bolloré, M. Taylor fera alors cette remarque significative sur ses relations lorsqu’il combattait dans le maquis : « Il n’y a pas de privilèges. Il se trouve simplement que les hommes d’affaires français sont venus nous voir avant les autres. Ils ont pris des risques. Ce qui explique qu’ils aient aujourd’hui une longueur d’avance. (…) C’est du “business as usual”. Car, sur le fond, les hommes d’affaires n’ont pas de nationalité. Qu’ils viennent de France ou d’ailleurs, ils s’intéressent tous — et c’est bien normal — au bois, au minerai de fer, à l’or et aux diamants du Liberia (16). »

« Avez-vous rencontré Charles Taylor ? », demande en 1999 Jeune Afrique à un Bolloré détendu : « Pas moi, non. Je ne fais plus rien moi-même [sourire], il y a des dirigeants du groupe qui font ce qu’il faut à ma place (17).  » La proximité entre le conglomérat et le régime libérien sera à nouveau évoquée, en 2001, lorsque plusieurs associations accuseront le premier de participer au trafic du bois qu’organisait le second pour financer sa guerre de déstabilisation dans la Sierra Leone voisine. Mais l’histoire ne dit pas si M. Bolloré a toujours le « sourire » depuis que M. Taylor est poursuivi devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, à Freetown, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

S’il dément « catégoriquement » tout lien entre son groupe et le régime de M. Taylor, M. Lafont paraît moins assuré lorsqu’on évoque les accusations portées contre les filiales implantées à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), que ravage une guerre transfrontalière. Ici, ce ne sont plus de simples associations qui accusent, mais un groupe d’experts ayant enquêté, à la demande du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), sur l’« exploitation illégale » des ressources naturelles dans cette région. L’ONU s’inquiète en effet de voir le commerce des matières premières dans cette région nourrir le trafic d’armes. Il s’agit en particulier du coltan (ou colombo-tantalite), utilisé dans la fabrication de téléphones portables et de consoles de jeux vidéo. Le cours mondial de ce minerai a explosé au début des années 2000.

Sous le titre « Facilitateurs ou complices passifs ? », on apprend dès le premier rapport, paru en avril 2001, que SDV, filiale à 100 % du groupe Bolloré, figure « parmi les principaux maillons de ce réseau d’exploitation et de poursuite de la guerre. Des milliers de tonnes de colombo-tantalite ont ainsi été chargées à partir de Kigali ou ont transité par le port de mer de Dar es-Salaam (18).  » Les experts de l’ONU réitèrent leurs accusations en novembre 2001, avant qu’un nouveau rapport, en 2002, place SDV sur la liste des entreprises qui « violent les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] à l’intention des entreprises multinationales  » ; et un autre encore, en 2003, la range parmi celles qui n’ont « pas donné suite » aux sollicitations des experts « alors qu’elles avaient tout le temps nécessaire pour se manifester (19)  ».

Il faudra attendre fin 2008, au moment où les conflits de l’est de la RDC reviennent dans l’actualité, pour entendre les responsables du conglomérat sur ce sujet. Interrogés par l’hebdomadaire Marianne (qui, s’appuyant sur le rapport de 2003, oublie les précédents, bien plus explicites…) (20), ils consentent, enfin, à… nier en brandissant le curriculum vitae « irréprochable » de l’actuel responsable de la zone pour le groupe, en poste depuis moins de deux ans. Il faut dire que les démentis sérieux paraissent un peu superflus : le 25 janvier 2009, la chaîne éducative France 5 diffuse un documentaire de cinquante-deux minutes (« Les mines de l’enfer ») intégralement consacré au coltan, en réussissant la prouesse de citer les rapports de l’ONU… sans mentionner une seule fois Bolloré ni aucune autre multinationale occidentale.

Profitant de l’apathie de la plupart des journalistes, le groupe a pris position sur un autre champ de bataille, celui de la communication, où il investit massivement depuis le début des années 2000. Contrôlant un arsenal allant de la publicité (Euro RSCG) à la télévision (Direct 8), en passant par les sondages (CSA) et la presse gratuite (Matin plus, Direct soir), il peut assurer la propagation de messages maîtrisés de bout en bout, de la conception à la diffusion. Accompagnant la conquête des marchés africains, le pôle médias multiplie les offensives de charme envers tout ce que le continent compte de « décideurs » importants.

C’est le cas sur la chaîne Direct 8, dont le directeur des programmes n’est autre que le fils de M. Bolloré, Yannick, et où l’on peut suivre mensuellement une émission présentée par M. Roussin en personne (lire « Direct 8, chaîne de l’afro-optimisme industriel »).C’est le cas également dans les journaux gratuits que le groupe distribue, tels des tracts, à des millions d’usagers des transports en commun. Profitant de l’ignorance quasi générale et du désintérêt presque total pour les pays africains,Matin plus et Direct soir soignent l’image des chefs d’Etats amis, qui, manquant pour la plupart de légitimité électorale, ne se maintiennent au pouvoir que par la répression interne et la propagande d’exportation. Avec son pôle médiatico-publicitaire, Bolloré leur offre, dans cette guerre silencieuse, une arme de choix.

C’est ainsi que Matin plus, quotidien réalisé en partenariat avec Le Monde, dresse un bilan flatteur des vingt-cinq années de règne du chef de l’Etat camerounais Paul Biya. Le gouvernement de Yaoundé, apprend-on avec surprise, se démène pour « revaloriser le pouvoir d’achat » des Camerounais et« renforcer les institutions de promotion des droits de l’homme  »(Matin plus,26 octobre 2007). Le « gratuit » ne rectifiera pas son discours en février 2008 lorsque les émeutes de la faim seront écrasées dans le sang, faisant une centaine de morts.

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Particulièrement bien implanté au Cameroun, mais inquiété par une plainte pour « corruption et favoritisme » déposée par son concurrent Progosa sur l’affaire de la concession du terminal à conteneurs du port de Douala, le groupe Bolloré soigne avec ardeur l’image internationale du président Biya. A sa charge, avec sa presse gratuite, et sans doute à prix d’ami avec sa filiale publicitaire Euro RSCG, dont le président Stéphane Fouks a rendu une visite « riche et fructueuse » à la présidence camerounaise en février 2009.

Une attitude politico-philantropique

Mais la communication du groupe Bolloré dans ce pays ne s’arrête pas là. Pour assurer ses arrières, il fait également les yeux doux aux journalistes locaux. Six rédacteurs en chef de la presse camerounaise furent ainsi invités en mai 2007 pour une virée d’une semaine en France, tous frais payés. Et c’est animé par la même générosité que M. Roussin s’est rendu à Yaoundé en février 2008 pour y signer un partenariat avec la Fondation Chantal Biya, structure opaque de « lutte contre le sida » et faire-valoir caritatif de la très influente épouse du président…

Il faut dire que M. Bolloré, dans une attitude politico-philanthropique, met fréquemment la main à la poche pour ses bonnes œuvres, tel le Réseau éducation pour tous en Afrique (Repta), animé par M. Gabriel Cohn-Bendit ; il a longtemps soutenu la société de capital-risque à vocation « sociale » de M. Michel Rocard, Afrique Initiatives, aujourd’hui défunte. Il contribue aussi à des opérations plus ponctuelles, comme l’envoi en 2005 d’une mission humanitaire au Niger, par l’association Réunir, que préside M. Bernard Kouchner.

L’obsession de M. Bolloré pour la fondation de M. Nelson Mandela s’inscrit dans la même veine. Ses journaux gratuits ont déjà consacré quatre « unes » au héros de la lutte contre l’apartheid, dont un doubléMatin plusDirect soir, en septembre 2007, à l’occasion de la visite à Paris de l’ex-président sud-africain. « Bolloré, qui cherche à se développer [économiquement] en Afrique du Sud et de l’Ouest, a organisé lui-même l’événement et mis à disposition son avion », révèle alors l’hebdomadaire Télérama. En médiatisant l’opération, il soigne ses relations africaines… et élyséennes : M. Sarkozy était tout heureux de pouvoir serrer la main de l’icône (21).  » Comme en témoigne une photographie publiée parMatin plus, c’est tout sourires que le président français se prête, sur le tarmac de l’aéroport d’Orly, à l’opération de charme de son ami Vincent. Et pour ne froisser personne, c’est la photographie de M. Kouchner qui agrémente, le 3 septembre 2007, les pages « Mandela » de Direct soir…

(1) « Un héritage à la Corbeille : Bolloré », TF1, 4 février 1986.

(2) Lire Nathalie Raulin et Renaud Lecadre, Vincent Bolloré, enquête sur un capitaliste au-dessus de tout soupçon, Denoël, Paris, 2000 ; et Nicolas Cori et Muriel Gremillet, Vincent Bolloré, ange ou démon ?,Hugo doc, Paris, 2008.

(3) Voir la présentation qui en est faite sur le site Bolloré Africa Logistics.

(4) Antoine Glaser et Stephen Smith, Sarko en Afrique,Plon, Paris, 2008, pp. 96-97.

(5) « Planète entreprises », Radio France Internationale (RFI), 25 novembre 2007.

(6) « Bolloré répond à tout », Jeune Afrique, Paris, 30 mars 2008.

(7) Michel Dupuch, ancien conseiller Afrique de M. Jacques Chirac, est administrateur de Progosa ; M. Rémy Chardon, ancien directeur de cabinet du maire de Paris, en est vice-président exécutif ; Mme Brigitte Girardin, ancienne ministre de la coopération, est présidente de la Fondation Progosa — laquelle soutient la Fondation Chirac, axée sur le développement durable et le dialogue des cultures.

(8) Patrick Baptendier, « Allez-y, on vous couvre ! »,Editions du Panama, Paris, 2008.

(9) Lire Anne-Valérie Hoh et Barbara Vignaux, « L’Afrique n’est plus l’eldorado des entreprises françaises », Le Monde diplomatique, février 2006.

(10) « Le groupe français, refuge des ministres retraités », Libération, Paris, 17 octobre 2008.

(11) Michel Roussin, Afrique majeure, Editions France-Empire, Paris, 1997.

(12) Jean Bothorel, Vincent Bolloré, une histoire de famille,Jean Picollec, Paris, 2007, pp 12-13.

(13) Lire Léon Koungou, « L’Union européenne s’engage à reculons », Le Monde diplomatique,février 2008.

(14) « Les bonnes affaires de Bolloré », Marchés tropicaux et méditerranéens, Paris, 25 janvier 2008.

(15) Cf. François-Xavier Verschave, Noir Silence.Qui arrêtera la Françafrique ?, Les Arènes, Paris, 2000.

(16) « Liberia : les métamorphoses d’un seigneur de la guerre », Politique internationale, n° 82, Paris, hiver 1998-1999, pp. 354-355.

(17) « Nous nous conduisons en Afrique comme au Japon ou aux Etats-Unis », Jeune Afrique,16 février 1999.

(18) Rapport du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo, 12 avril 2001.

(19) Lettres du 8 octobre 2002 et du 15 octobre 2003, adressées au Secrétaire général par le président du groupe d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo.

(20) « Des entreprises occidentales responsables de la guerre en RDC ? », Marianne2.fr, 12 novembre 2008.

(21) « Le raz de marée Vincent Bolloré », Télérama, Paris, 6 novembre 2007.

 

Port, rail,plantations : le triste bilan de Bolloré au Cameroun par Thomas Deltombe* (Le Monde Diplomatique. Avril 2009)

 Il est difficile de regarder en conscience les gens et les choses des Tropiques à cause des couleurs qui en émanent

Louis-Ferdinand Céline (1)

 

Grâce au rachat de vieilles entreprises coloniales françaises et à la privatisation d’une part importante du patrimoine économique national, le groupe Bolloré est devenu un acteur incontournable dans le tissu économique comme dans la vie politique du Cameroun.

Concessionnaire de la société de chemin de fer Camrail depuis 1999 (jusqu’en 2034), il a obtenu la concession du terminal à conteneurs du port de Douala en 2005 (jusqu’en 2020). Ses diverses agences, regroupées sous la marque corporate Bolloré Africa Logistics depuis septembre 2008, sont présentes dans la capitale économique, Douala, dans la capitale politique, Yaoundé et dans le nord du pays, à Garoua (2). La gestion de l’ensemble des flux de production d’aluminium produit à l’usine d’Edéa, gérée par le géant canadien Rio Tinto-Alcan, la logistique de la construction du pipeline Tchad-Cameroun, opéré par Exxon-Mobil, et la logistique « door to door » pour le compte de Total font partie des « références » camerounaises dont se flatte le groupe sur son site internet. S’il a abandonné les chantiers forestiers après avoir participé, selon certaines ONG, au « pillage » de la forêt camerounaise (3), le groupe gère toujours un parc à bois, grâce à sa Société d’Exploitation des Parcs à Bois du Cameroun (SEPBC). Il contrôle par ailleurs d’immenses plantations, soit directement, via Safacam qui exploite 8 400 hectares de palmiers à huile et d’hévéas, soit indirectement, via la société belge Socfinal qui gère 31 000 hectares de palmiers à huile dans le pays (4). Les responsables du groupe Bolloré jurent ne pas « contrôler » les plantations de Socfinal. Ce que contestent la plupart des observateurs (5).

La mainmise progressive du groupe Bolloré sur ce vaste patrimoine et la « rationalisation » à marche forcée de ces « actifs » ne sont pas sans poser d’importants problèmes. Le premier d’entre eux est d’ordre symbolique et politique. L’accaparement d’entreprises coloniales par de lointains jeux financiers et la cession de secteurs stratégiques des économies nationales africaines par le biais des privatisations, ne peut qu’inciter une partie des Camerounais à considérer l’intrusion de Bolloré comme une forme de néo-colonialisme. Et cela d’autant plus que le Cameroun, ancien territoire sous tutelle française pendant la période coloniale, reste géré par une élite locale qui, héritière d’une indépendance dessinée par les Français eux-mêmes, agit plus en fonction de ses intérêts propres que de l’intérêt général. Alors que les dirigeants du groupe Bolloré s’affichent fréquemment avec le président Biya, sa femme Chantal ou certains autres hauts responsables du régime, beaucoup de Camerounais se demandent jusqu’où va l’ingérence de Bolloré dans les affaires intérieures de leur pays.

Nombreux sont ceux, par exemple, qui se sont interrogés, début 2008, sur le limogeage du directeur général du Port Autonome de Douala (PAD), Emmanuel Etoundi Oyono, par le président Biya… alors même que ce dernier venait publiquement de le féliciter pour sa gestion du PAD. Paie-t-il la remise en cause de certains avantages obtenus, les années précédentes, par le groupe Bolloré ?, se demande alors le quotidien camerounais Mutations (6). Allégations aussitôt démenties par le groupe, avec modestie : « Ce serait prétentieux de croire que le président de la république du Cameroun est à la solde du groupe Bolloré (7)  »… Pour Pius Njawé, l’emblématique directeur du journal Le Messager, l’ingérence du groupe Bolloré dans la vie politique du Cameroun ne fait pourtant aucun doute. « C’est une sorte d’Etat dans l’Etat, explique-t-il dans un récent reportage diffusé sur France Inter. Bolloré, c’est une illustration parfaite de la Françafrique (8) ! ».

Quand bien même on exagérerait l’influence politique de Bolloré, il est indéniable que son implantation au Cameroun est ressentie comme une mutilation par une partie de la population locale. C’est le cas par exemple depuis que le groupe a obtenu, en partenariat avec le groupe sud-africain Comazar, le contrat d’exploitation de la Regifercam (devenue Camrail). Construit dans le sang à l’époque coloniale, nationalisé à l’indépendance en 1960, et étendu au Nord et à l’Ouest du pays par la suite, ce réseau ferré était devenu un des symboles de la souveraineté économique et de l’intégration nationale du pays. La cession de sa gestion à un groupe français apparaît dès lors comme un triste retour au passé.

L’amertume est d’autant plus grande que la mise en concession a eu pour conséquence l’augmentation des tarifs pour le transport voyageurs et la fermeture des lignes « non rentables » : offrant de bien meilleurs retours sur investissement, c’est surtout le « réseau utile », c’est-à-dire le transport des marchandises, qui a profité en priorité de la mise en concession (9). « Du fait de la participation des ancêtres aux travaux forcés qui ont permis la pose du rail, l’on s’est approprié ce dernier comme un héritage, observe ainsi le chercheur Claude Abé en étudiant la situation autour du tronçon Yaoundé-Douala. La suppression des arrêts et des gares est vécue comme une fabrique de l’oubli et du dépaysement de l’identité de soi ; c’est-à-dire comme une brouille du lien culturel et historique qui unit les vivants aux morts (10) ».

Le ressentiment est tout aussi profond autour des plantations industrielles récupérées par le groupe Bolloré. Personne n’oublie les conditions de travail qui y régnaient il y a seulement soixante-dix ans. Comme l’a rappelé dans son autobiographie l’ancien syndicaliste Gaston Donnat, qui vécut au Cameroun dans les années 1940, des villageois étaient désignés par les chefs traditionnels, sur ordre des administrateurs coloniaux, pour être déportés vers les plantations, corde aux cous et encadrés par des miliciens. Installés dans des baraquements, retenus prisonniers par des clôtures, et toujours surveillés par des gardes armés, nombre d’entre eux ne sortirent jamais des plantations (11).

Compte tenu de ce lourd contexte historique, la « gestion sociale » dans les filiales africaines du groupe Bolloré se devrait donc d’être irréprochable. Elle est loin de l’être. « Sa gestion des ressources humaines est du cuir dont on fait les cravaches », note le journal d’enquêtes sociales Le Plan B, qui constate qu’en moins de dix ans de concession un tiers des trois mille six cents salariés de la Camrail ont été licenciés. En conséquence, ces dix années ne furent pas de tout repos pour les leaders syndicaux de Camrail qui durent subir des infiltrations patronales, des mutations forcées, des licenciements punitifs et même, pour certains, des mois d’emprisonnement (12).

A certains égards, les syndicalistes sont devenus les souffre-douleur de l’entreprise, au moment où toutes les populations villageoises sacrifiées sur l’autel de la « modernisation » protestaient, par des marches pacifiques ou en élevant des barricades sur les voies ferrées, contre « le caractère asocial de certaines restructurations (…) et les visages inhumains de la privatisation (13) ». Sur le port de Douala, les relations sociales ne sont pas non plus au beau fixe. Dominante à travers ses différentes filiales enchevêtrées, la multinationale Bolloré y est notamment suspectée de chercher à asphyxier les acconiers (14) camerounais. Que nenni, rétorque le conglomérat, qui trouve de bon ton de reprocher aux contestataires une « utilisation maligne d’arguments nationalistes » (15)…

La situation n’est pas meilleure dans les plantations de la Société camerounaise des palmeraies (Socapalm), ancienne société publique, privatisée en 2000 et détenue depuis à 38,75 % par Bolloré, via le groupe belge Socfinal. Les syndicats reprochant entre autres au groupe « le limogeage en série des cadres camerounais au profit des cadres Belges », les grèves et protestations se multiplient (16).

Dans la plus grande plantation de palmiers à huile du Cameroun, à Kienké, on assiste même, selon la correspondante au Cameroun du journal français Libération, à « un Germinal sous les tropiques ». Des milliers d’ouvriers y travaillent, six jours par semaines, sans couverture sociale et sans même de gants, pour 22 francs CFA par régime de 15 kg récolté. Les plus privilégiés peuvent de cette façon gagner 53 euros par mois… quand la cascade de sous-traitants qui les emploient n’oublient pas de les payer. Et lorsque, fin 2007, le leader d’un syndicat improvisé – les autres sont souvent achetés – s’élève contre ces pratiques, et contre l’insalubrité et la surpopulation des baraquements où les travailleurs sont parqués, il est prestement arrêté par la police. Et les autorités lui glissent à l’oreille : « Si tu continues, on va te tuer » (17).

Les choses ont peu de chances de s’améliorer. Car si Bolloré a conservé ses exploitations de palmiers à huile malgré le recentrage de son groupe sur le secteur des transports et de la logistique depuis le début des années 2000, c’est qu’il mise sur les agro-carburants, censés servir dans un avenir proche de substituts « écologiques » aux énergies fossiles (18). Aussi les plantations de palmiers à huile du groupe au Cameroun (Socapalm, Safacam, Ferme Suisse), ne cessent-elles de s’étendre, provoquant l’expulsion des populations, manu militari et sans dédommagement, et la destruction progressive des forêts et des cultures traditionnelles locales. Principales victimes : les Bagyeli, plus connus sous le nom de « pygmées ». « [Certains d’entre eux] sont maintenant entourés de toute parts par les plantations, dans lesquelles on ne leur permet pas d’entrer, s’inquiète par exemple Julien-François Gerber qui a enquêté sur la plantation de Socapalm à Kienké. S’ils le font et si les gardes les attrapent, ces derniers les expulsent à coup de bâtons. Ils sont forcés de vivre dans une zone marécageuse inondable où pullulent moustiques et maladies associées (choléra, paludisme) (19). »

Mettant en danger la souveraineté alimentaire des populations, l’expansion des plantations et le détournement de l’huile de palme pour la fabrication d’agro-carburants menacent aussi l’environnement. L’usine installée dans la plantation de la Socapalm à Kienké rejette ainsi une huile souillée, probablement mélangée à des produits chimiques, qui se déverse dans les cours d’eau environnants. « Les habitants interviewés sont parfaitement conscients du danger que cette pollution peut représenter pour la santé, et la pêche est évidemment devenue impraticable dans l’affluent en question, poursuit Julien-François Gerber. Mais ils se débrouillent comme ils peuvent, notamment en recyclant cette huile de mauvaise qualité et en la vendant à des huiliers et savonniers artisanaux (20) ».

Le Cameroun ne fait malheureusement pas exception. Sur le port d’Abidjan (Côte d’Ivoire) aussi, les conflits sociaux sont fréquents entre les travailleurs locaux et le groupe Bolloré, gestionnaire du port depuis 2004. S’agissant de la Sitarail, société de chemin de fer ivoiro-burkinabé qu’exploite le groupe depuis 1994, les griefs des syndicalistes ne sont pas sans similitudes avec ceux qu’expriment leurs homologues camerounais (21). Quant aux plantations, on trouvera sur internet un rapport édifiant réalisé en 2005 par la Mission des Nations Unies au Liberia (UNMIL) sur la situation des droits de l’homme dans cinq plantations d’hévéas libériennes. Y sont décrites, noir sur blanc, les méthodes utilisées par la plantation gérée par Socfinal : compression des coûts grâce au recours massif à la sous-traitance, utilisation de produits cancérigènes malgré le manque de formation et d’équipement offerts aux ouvriers, travail d’enfants de moins de quatorze ans, bâillonnement des syndicats, licenciements arbitraires, maintien de « l’ordre » par des milices privées, évictions des villageois gênant l’expansion de la zone d’exploitation (22).

Un seul détail manque dans cet exposé accablant, constatent les journalistes Nicolas Cori et Muriel Gremillet : le nom de Bolloré. Certes, le rapport mentionne que la plantation libérienne appartient à une société basée au Luxembourg, Intercultures. Mais il n’est nulle part précisé qu’Intercultures appartient au groupe belge Socfinal, dont le groupe français Bolloré détient 38,75 %. « Pourtant, c’est bien [Vincent Bolloré] qui est derrière tous ces événements, précisent les deux journalistes. Grâce à l’opacité de son groupe il peut engranger de l’argent au Libéria, sans que son image en soit altérée (23) ».

Les guerres africaines de Vincent Bolloré par Thomas Deltombe…Journaliste, auteur de L’islam imaginaire – La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005, La Découverte, Paris, 2007. (Le Monde Diplomatique. Avril 2009)

source : regardsurlafrique

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