Burkina Faso: le point sur le coup d’état
Un calme précaire régnait cette nuit au Burkina Faso. Après l’annonce officielle, la veille, de la prise de pouvoir par les putschistes du régiment de sécurité présidentiel (RSP), constitués en un Conseil national pour la démocratie.
A leur tête, le général Dienderé, ancien chef d’état-major particulier de l’ex-président Compaoré. Depuis, tentatives de mobilisation, couvre-feu, condamnations internationales s’enchaînent.
La première raison invoquée par le nouvel homme fort pour justifier son coup d’Etat :
les élections programmée le 11 octobre « n’auraient pas été bien organisées ». Alors que l’exécutif burkinabè, dont le président Kafando et son premier ministre, sont toujours détenus par les putschistes. Le président de l’Assemblée de transition, de nombreux partis politiques, la société civile et les syndicats ont appelé à la mobilisation populaire. Mais les militaires du RSP ont jusqu’à présent empêché tout rassemblement dans la capitale.
Retrouvez ici les principales déclarations de l’édition spéciale de RFI diffusée ce vendredi 18 septembre :
Saran Sérémé. Elle se présentait sous les couleurs du Parti pour le développement et le changement (PDC) pour les élections présidentielles prévues le 11 octobre prochain au Burkina Faso. « Il faut se battre pour son bien-être, pour la justice. Le peuple burkinabè est prêt à se défendre coûte que coûte. Nous déplorons cette situation. Nous ne sommes pas prêts à courber l’échine. Vous avez remarquez comment les jeunes sont sortis ? »
Emile Kaboré. L’ancien membre fondateur du CDP est actuellement président d’un petit parti allié, le Rassemblement pour un sursaut républicain. Il soutient le coup d’Etat qu’il justifie ainsi : « Nous n’avons eu de cesse de dénoncer la pratique de l’exclusion qui s’est installée au départ et par la suite. » Il fait référence à l’exclusion des candidats du CDP pour l’élection présidentielle d’octobre. Pour lui, le gouvernement de transition a fait une erreur. Il rappelle que la communauté internationale avait stipulé sur la charte que « les élections devaient être inclusives. »
A cela, Saran Saramé lui a alors rétorqué : « L’inclusion ne signifie pas l’impunité. Nous avons des lois, un corpus juridique qui prévoient la gestion de l’Etat. Il faut remplir des conditions. Personne n’est au dessus des lois. »
Laurent Bigot, l’ancien diplomate français, s’attendait également à ce coup d’Etat. Il avait prédit la chute de Blaise Compaoré dès 2013. Le 15 juillet dernier, il évoquait déjà l’exclusion des candidats comme possible source d’une future crise. « La transition a tendu le bâton pour se faire battre et avec la complicité la communauté internationale qui est restée particulièrement silencieuse sur l’exclusion de candidats sur des motifs totalement fallacieux, qui plus est, déjugés par la cour de justice de la Cédéao. »
Dragoss Ouedraogo. Pour cet anthropologue burkinabè, spécialiste des luttes sociales, interviewé depuis Bordeaux, ce coup d’Etat était prévisible. « Il n’y a pas de surprise. Il y avait des signes avant-coureurs : comme empêcher la tenue des conseils des ministres,- le Premier ministre avait même dû fuir- ou encore les radios de la presse saccagées par le régiment de sécurité présidentiel. » Il ajoute que l’histoire et les antécédents de ce régiment ne pouvaient qu’alerter : « Ce régiment est tristement célèbre. Il est impliqué dans tous les crimes de sang connus du pays. »
Vers la résistance de la société civile ?
Fadel Barro, du mouvement « Y’en en marre ». En ligne de Dakar, il fait part de son exaspération et demande de la fermeté face aux putschistes. Il veut croire et soutenir la résistance du peuple burkinabè : « La société civile s’organise déjà. La jeunesse est en train de s’organiser. Elle n’acceptera pas cette énième forfaiture ».
Pour Fadel Barro, le Burkina Faso vit la suite du premier soulèvement d’octobre 2014 : « Nous avons les mêmes marges de manœuvre qu’il y a à peu près un an. Ce régime était déjà là pendant la révolution et le peuple burkinabè avait fait face. J’ai l’impression que c’est une suite. C’est comme s’il avait décidé de poursuivre et sanctionner les manifestations d’octobre dernier. On va continuer la mobilisation, sans armes, on reste non violent. C’est une résistance pacifique. Si on ne le fait pas, tout ce qu’on a fait sera remis en cause. »
Ces dernières 24 heures, à de multiples reprises, des habitants ont tenté de se rassembler pour dénoncer le coup d’Etat, d’ériger des barricades pour bloquer les patrouilles du RSP. Mais les éléments putschistes ont traqué sans relâche tout contestataire potentiel.
De source médicale, au moins 6 personnes auraient été tuées, jeudi, et une soixantaine blessées dans la capitale. Les leaders des mouvements citoyens ont dû entrer dans la clandestinité. Plusieurs d’entre eux ont été menacés, à leur domicile, par d’éléments du RSP. Le studio de musique de Smockey, l’un des leaders du Balai citoyen a été attaqué.
En province en revanche, où l’armée et la police se sont faites discrètes, des mobilisations ont pu avoir lieu : manifestations à Bobo Dioulasso, opération ville morte à Pô, au sud du pays, barricades dressées à Banfora, près de la frontière ivoirienne. Une mobilisation globalement sans incident, excepté à Yako, la ville natale du général Diendéré, où plusieurs maisons dont celle du chef des putschistes ont été incendiées.
Une médiation en route
Le chef de l’Etat sénégalais Macky Sall, président en exercice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), accompagné du président béninois Thomas Boni Yayi devraient se rendre vendredi au Burkina Faso. Nos invités restent perplexes sur ce sujet.
Saran Sérémé s’indigne de l’action tardive de la communauté internationale : « Ces deux personnalités qui arrivent connaissent très bien le problème burkinabè. (…) Mais, nous appelons la communauté internationale à anticiper chaque fois qu’il y a des problèmes en vue. (…) Il y a longtemps que nos institutions sont parfois prises en otage. Mais la communauté internationale attend toujours qu’il y ait du grabuge et jusqu’à présent, parfois laisse faire pour venir maintenant proposer des milliards et chercher à reconstruire nos pays. »
Même si elle fait confiance aux deux présidents africains en route vers le Burkina Faso, elle pointe du doigt « ceux qui avaient des avantages, qui les voient perdus et qui sont prêts à tout pour les sauvegarder et qui sont prêts à mettre le feu à la baraque. Je pense que le président Compaoré lui-même, ainsi que tous les autres chefs d’Etat, toute la communauté internationale et toute personne éprise de paix, doivent venir au secours du Burkina et arrêter ces personnes qui sont sans foi, ni loi. »
Fadel Barro croit en Macky Sall. « Macky Sall a la légitimité parce que dans la sous-région, il fait partie des chefs d’Etat les mieux élus. C’est une chance d’avoir Macky Sall pour, pour une fois, être ferme, pour rétablir notre ordre constitutionnel, et pour être à côté du peuple burkinabé.(…) On parlait du RSP, aujourd’hui, c’est un groupe armé qui est en train de tout remettre en cause, simplement. »
Méfiance envers le général Diendéré
En exclusivité sur RFI, on a pu également entendre la réaction de Mariam Sankara , la veuve du président Thomas Sankara, le premier président du pays assassiné en 1987, à l’âge de 37 ans. Coïncidence, jeudi, les avocats des plaignants dans l’affaire Sankara devraient prendre connaissance des rapports d’expertise après l’exhumation des restes de Thomas Sankara, restes présumés. Le général Diendéré, le nouvel homme fort du pays, étant cité dans cette affaire.
Mariam Sankara explique : « On était avancés, il y a eu les enquêtes. Je ne sais pas quelle sera la suite maintenant du dossier. Diendéré a été cité plusieurs fois dans des témoignages parce qu’il était responsable des militaires qui ont été cités dans cette affaire. Si jamais c’est lui qui reste au pouvoir, je m’inquiète.»
Pour elle, le fait que cette initiative du RSP correspond à la remise du rapport sur la mort de son mari n’est qu’une coïncidence : « Nous disions avoir les résultats et le coup [d’Etat] a eu lieu. Il y a beaucoup de coïncidences dans cette situation. Ce n’est pas facile quand même à expliquer. »
Le général Gilbert Diendéré, au palais présidentiel de Ouagadougou, ce jeudi 17 septembre.AFP PHOTO
Durée de vie de ce régime
Mathias Hounkpé. Pour cet analyste chez Open Society à Dakar, la durée de vie de ce régime, contesté par le peuple et la communauté internationale, est soumise à deux critères. D’un côté, « de la manière dont les forces d’opposition pourront s’organiser. Je pense aussi à une composante en particulier de la société civile qui si elle maintient sa position, peut faire relativement mal. Ce sont les centrales syndicales Elles ont la capacité de bloquer un pays. »
D’un autre côté, cela dépend aussi « des moyens dont vont disposer les médiateurs à commencer par la Cédéao. Vous vous rappelez que dans le cas du Mali, la Cédéao était parti avec du poids, de la force pour engager la médiation en 2012. (…) Mais, aujourd’hui, la Cédéao ne part avec les mêmes armes. Elle a quelques difficultés. »
source : reutersd-rfi