PETIT RÉCAPITULATIF
Donné pour mort par l’armée nigériane en septembre 2014 , le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, était réapparu dans une nouvelle vidéo , vantant, sanglantes scènes à l’appui, l’application de la charia dans son « califat islamique » du nord-est du Nigeria.
« Me voilà, en vie. Je ne mourrai que le jour où Allah m’ôtera le souffle », déclame, dans cette vidéo obtenue par l’AFP, un Shekau souriant et fanfaronnant, avec à la main son habituel et démesuré bâton de bois lui servant à se nettoyer les dents, traditionnel attribut des jihadistes.
L’armée avait affirmé la semaine dernière que Shekau était mort et que l’homme qui se faisait désormais passer pour lui dans les vidéos de Boko Haram avait également été tué lors d’affrontements avec des soldats dans le nord-est du pays. Mais les Etats-Unis comme de nombreux experts avaient mis en doute les dires de l’armée.
Des responsables de forces de l’ordre locales ont déjà annoncé deux fois la mort du chef de Boko Haram, en 2009 et 2013. A chaque fois, Shekau, qualifié par les Etats-Unis de « terroriste à l’échelle mondiale », était réapparu rapidement en vidéo.
L’homme qui parle dans cette dernière vidéo a la même apparence physique que dans les vidéos précédentes, et qualifie l’annonce de sa mort par l’armée de « propagande ».
La vidéo, qui dure 36 minutes, montre Shekau en treillis, chaussé de bottes en caoutchouc, debout à l’arrière d’un pick-up, qui rafale successivement vers le ciel avec une mitrailleuse anti-aérienne, une mitrailleuse 12.7 PKM puis un fusil d’assaut kalachnikov.
Il parle ensuite pendant 16 minutes, alternant l’arabe et l’haoussa –la langue la plus parlée dans le nord du Nigeria– avec son habituelle gestuelle emphatique. Il se tient debout devant trois pick-ups, entouré de quatre hommes armés et cagoulés, exhibant en toile de fond le drapeau noir frappé du sceau du prophète Mahomet, emblème des jihadistes dans le monde.
Aucun élément ne permet de déterminer où et quand la vidéo a été tournée.
– Lapidation, amputation et coups de fouet –
La rébellion Boko Haram qui a éclaté en 2009, et sa répression féroce par les forces de l’ordre nigérianes, ont fait plus de 10.000 morts et 700.000 déplacés. Ces derniers mois, les insurgés se sont emparés de pans entiers de territoires dans le nord-est du Nigeria, et de plusieurs localités frontalières de l’extrême-nord du Cameroun. Shekau y avait déjà proclamé un « califat islamique », selon une précédente vidéo en août, semant la terreur parmi les populations locales.
« Nous dirigeons notre califat islamique. (…) Nous pratiquons les injonctions du Coran sur la terre d’Allah », déclare Shekau cette fois-ci. Suivent, dans une séquence différente, des scènes d’une extrême violence.
Devant un large public de villageois — hommes, femmes voilées de noir et enfants – rassemblés en plein air dans un paysage de brousse, la caméra filme la lapidation à mort d’un homme accusé d’adultère, puis l’amputation d’une main d’un homme accusé de vol, et l’administration d’un châtiment de cent coups de fouet à un jeune homme et une jeune femme accusés de « fornication ».
On ignore d’où proviennent ces images ni quand elles ont été tournées mais le 21 août dernier, des civils ayant fui la ville de Buni Yadi, dans l’Etat de Borno (nord-est), avaient fait état d’exécutions sommaires menées par Boko Haram.
Une précédente vidéo de Boko Haram obtenue par l’AFP le 24 août montrait l’exécution d’une vingtaine d’hommes, apparemment originaires de Gwoza, dans le même Etat, et la lapidation de deux autres hommes.
Pour Richard Downie, spécialiste de l’Afrique au Centre d’études stratégiques et internationales, à Washington, Boko Haram a sûrement été influencé, pour ces dernières vidéos, par le groupe Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie, qui a attiré l’attention du monde entier en diffusant des images d’une très grande violence.
Les groupes extrémistes « s’inspirent les uns des autres en termes de communication » a déclaré M. Downie à l’AFP, et Shekau est « un personnage médiatique aguerri ».
Mais selon lui, l’influence de l’EI est très limitée et Boko Haram reste focalisé sur le Nigeria, avec peu d’intérêt pour les jihadistes arabes.
Dans une autre séquence, Shekau affirme que Boko Haram a abattu un avion des forces armées nigérianes disparu depuis près de trois semaines. La vidéo montre des débris provenant apparemment d’une aile d’un aéronef aux couleurs de l’armée nigérianes et d’un train d’atterrissage. Shekau y prétend que Boko Haram a abattu « plus de dix jets » de l’armée, et menace de faire de même avec tous les aéronefs qui survoleraient les territoires sous contrôle du groupe.
Interrogé par l’AFP, le porte-parole de l’armée de l’air nigériane, le général Dele Alonge, a affirmé que l’Alpha Jet disparu le 11 septembre avec deux pilotes à son bord n’avait toujours pas été retrouvé. Il a qualifié les affirmations de Boko Haram de « pure propagande » et de « foutaises ».
Selon l’armée nigériane, les images de l’épave montrées dans la vidéo ont pu être truquées et vont faire l’objet d’analyses.
Dans un communiqué publié sur le site Internet defenceinfo.mil.ng, l’armée nigériane soutient détenir la preuve « irréfutable » de la mort de Shekau et estime que cette vidéo ne contient aucune mention de la date à laquelle elle a été tournée.
« Cette vidéo ne fait référence à rien qui soit arrivé depuis la mort de l’imposteur » qui se prenait pour Shekau dit le communiqué.
Cartographie – Boko Haram sur les traces du califat de Sokoto ? Par Rémi Carayol
Les dirigeants de Boko Haram rêveraient-ils de faire revivre le califat de Sokoto, établi au XIXe siècle et disparu au moment de la colonisation britannique ? Leurs intentions ne sont pas claires.
Boko Haram a posté trois vidéos sur You Tube début février, dans l’intention évidente de braver les voisins du Nigeria qui s’organisent pour contrer l’expansion de la secte jihadiste. Dans l’une d’elles, l’on voit, selon l’AFP, des images d’archives faisant référence au califat de Sokoto. L’évocation par la secte de cet épisode historique est rare. Avant sa mort en 2012, Abul Qaqa, un proche du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, qui faisait office de porte-parole du groupe armé, avait prévenu : “Notre objectif est de revenir au Nigeria d’avant la colonisation, quand la charia était la loi appliquée à tous.” Autant dire : lorsque le nord du Nigeria était administré par le califat de Sokoto.
Pour autant, jamais Shekau n’a revendiqué l’héritage de ce califat. Si les meilleurs spécialistes du Nigeria notent des similitudes dans l’histoire de ces deux mouvements, ils sont comme tout le monde : ils ne voient pas bien quels sont les objectifs de cette secte qui est devenue, au fil des ans, le groupe jihadiste le plus sanglant du continent.
Sokoto : un califat centenaire
Le califat de Sokoto fut établi au début du XIXè siècle dans une région couvrant le nord de l’actuel Nigeria, à l’exception notable d’une zone s’étendant du nord de Kano aux rives du lac Tchad et au sud de Maiduguri – un territoire principalement peuplé de Kanuris qui faisait alors partie du Borno, une dyarchie qui résista aux jihadistes de Sokoto, et qui correspond aujourd’hui, pour partie, à l’État de Borno, l’un des 36 que compte la Fédération du Nigeria. Le califat de Sokoto s’étendait également sur des pans du Cameroun actuel (dans ses zones septentrionales) et du Niger actuel (sud-ouest), et son influence allait même au-delà, jusqu’à Dori, ville du nord du Burkina Faso.
Ce califat a vu le jour après que l’imam Usman dan Fodio, à la tête du camp des réformateurs de l’islam, adeptes d’une purification de la pratique religieuse, eût déclaré la guerre aux souverains de la région, en 1804. Cinq ans plus tard, la quasi-totalité du septentrion du Nigéria actuel avait été conquise (à l’exception, donc, du Borno). La capitale de cet empire qui instaura la charia fut établie à Sokoto, dans le nord-ouest. Ce califat ne fut démantelé qu’un siècle plus tard, en 1903, par le colonisateur britannique
La charia de retour… cent ans après
En octobre 1999, le gouverneur de l’État de Zamfara (nord-ouest du pays) concrétise une promesse de campagne : il annonce la refonte du code pénal de l’État et réintroduit le droit de la charia, près de cent ans après la chute du califat de Sokoto. Trois ans plus tard, 12 des 36 États nigérians (soit tous ceux du Nord, dans lesquels la population est très majoritairement musulmane) avaient instauré la charia. C’est toujours le cas aujourd’hui. La carte le montre bien : les États ayant instauré la charia correspondent, peu ou prou, aux territoires soumis à l’empire de Sokoto au XIXè siècle.
Boko Haram impose son califat
En revanche, les territoires soumis au calife au XIXè siècle et ceux saignés par Boko Haram aujourd’hui ne sont pas exactement les mêmes. Le cœur du califat de Sokoto était situé au nord-ouest du Nigeria actuel (vers Kano et Sokoto, la capitale), tandis que la sphère d’influence du “califat de Boko Haram” se trouve au nord-est, dans les environs du lac Tchad, dans des territoires qui faisaient partie, dans le passé, de la dyarchie du Borno, et qui sont principalement peuplés de Kanuris (peuple dont sont issus nombre de chefs et d’adeptes de la secte). C’est à Gwoza, une ville située près de la frontière avec le Cameroun, qu’Abubakar Shekau a proclamé “son” califat, en août 2014. Et c’est à Maiduguri, la capitale de l’État de Borno, que la secte est née, au début des années 2000, et qu’elle ambitionne de revenir.
Dans sa folie meurtrière, l’organisation n’hésite cependant pas à dépasser ses “frontières” et à mener depuis des années des attentats plus à l’ouest (à Kano notamment, et dans de nombreux États majoritairement musulmans) et plus au sud (à Abuja, la capitale de l’État fédéral). Ansaru, une branche issue d’une dissidence au sein de la secte au début de cette décennie, mais dont tous les liens avec le commandement de Boko Haram n’ont pas été coupés, s’est en outre implantée dans le nord-ouest du Nigeria.