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Entre hip-hop et rythmes yoruba, l’irrésistible succès de l’afrobeats

« Dans les coulisses de l’afrobeats » (3/5). Comment les Nigérians ont-ils réussi à conquérir la planète ? Grâce à leur fusion de différentes cultures musicales, internationales et locales, et à leur légendaire sens des affaires.

A Lagos, « Obi’s House » est l’un des rendez-vous incontournables du moment. Et dans la très festive capitale économique nigériane, le fait que cette soirée afrobeats hebdomadaire se tienne le lundi n’effraie personne : il faut même attendre minuit pour que la grande terrasse du Hard Rock Cafe se remplisse de fêtards. Des Nigérians aisés, plus ou moins jeunes, qui alignent chichas et spiritueux sur les tables et s’habillent avec un style aux accents de hip-hop américain : maillots de baseball, casquettes de préférence vissées à l’envers et lunettes de soleil épaisses malgré la nuit avancée.

Sur une petite estrade, les DJ officient derrière une rangée de MacBook et de platines, entourés de leur « crew » et d’un MC (« master of ceremony »), sélectionnant un mélange de tubes en vogue et de titres récemment sortis, que la mégapole nigériane produit chaque semaine par dizaines. « Ce qu’on a voulu créer, c’est une grande “house party”, sauf que ce n’est ni chez moi ni chez toi, se marre le maître des lieux, DJ Obi, qui fête ce soir-là son anniversaire. C’est un certain esprit, une ambiance détendue qui donne envie de venir et de revenir. » C’est aussi la promesse de se déhancher sur la crème du moment, dans toute la diversité de tempos, de sonorités et de rythmes qui font l’afrobeats.

A l’image de l’ambiance d’« Obi’s House », ce genre musical est un melting-pot. On y trouve une forte influence du rap et du R & B américains, qui dominaient les ondes nigérianes il y a encore quinze ans, mais aussi du dancehall jamaïcain. A cette base de beats répétitifs et de synthés, les pionniers de l’afrobeats, comme D’Banj, 2Face ou P-Square, ont intégré d’énergiques rythmes locaux, du Nigeria ou d’Afrique de l’Ouest, un carrefour où les communautés comme les musiques s’encombrent peu des frontières.

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« L’afrobeats est une fusion de hip-hop et de divers sons africains issus des différentes cultures dans lesquelles les artistes sont nés, ont grandi ou qu’ils ont adoptées. Vous l’entendez dans les tambours, les chants, les tonalités musicales », décrypte Sensei Uche, un ancien présentateur star des radios lagosiennes. Ainsi, au gré des artistes ou simplement des chansons, on y retrouve le fuji et le juju des Yoruba (une importante communauté du sud du Nigeria), du makossa camerounais ou encore du highlife ghanéen.

« C’est nous qui parlons le plus fort »

Entre toutes, cette dernière est une influence majeure de l’afrobeats. D’abord parce qu’elle a été, dans l’Afrique des indépendances des années 1950 et 1960, « le son de l’époque », souligne le saxophoniste Seun Kuti, fils du célèbre Fela Kuti, notant que, déjà, il s’agissait d’une « fusion entre la musique africaine et les instruments modernes comme les guitares, les saxophones et les basses ». Surtout, le highlife a été l’une des principales inspirations de son père, qui connut dans les années 1970 un succès mondial avec les rythmes et les performances hypnotiques de sa musique : l’afrobeat (sans « s »).

Aujourd’hui, celle-ci est souvent décrite comme une source de l’afrobeats (avec un « s »). Ce n’est qu’en partie vrai. A Lagos, « Fela » reste une figure tutélaire, respectée, mais on s’agace de ce raccourci réducteur. « L’afrobeats, en lui-même, c’est une myriade de genres réunis ensemble. C’est pourquoi tant de gens peuvent se retrouver sous cette ombrelle », tranche Titilope Adesanya, la directrice des opérations de la branche africaine du label américain Empire, résumant un large consensus. L’oreille avisée distingue le fuji d’Asake du R & B de Tems, jusqu’à l’afro-rave de Rema et même l’afro-dépression d’Omah Lay.

Cette « ombrelle » n’est pas l’apanage des artistes nigérians, souligne Titilope Adesanya, qui produit aussi des chanteurs ghanéens. « L’afrobeats ne nous appartient pas à 100 %. C’est juste que c’est nous qui parlons le plus fort », s’amuse-t-elle. Forts de leur confiance proverbiale, de leur profonde culture musicale et du chaudron bouillonnant que constitue Lagos, les artistes nigérians ont conquis l’Afrique subsaharienne depuis déjà une quinzaine d’années, damant le pion, dans les maquis d’Abidjan et les bars de Nairobi, aux genres locaux que sont le « rap ivoire » ou le gengetone. Ils s’exportent désormais bien au-delà.

Burna Boy, qui poursuit une tournée mondiale l’emmenant de Londres à New York en passant, fin mai, par Paris, était numéro un des ventes au Royaume-Uni en septembre. « Tiwa Savage a même chanté pour le couronnement du roi Charles III ! », s’amuse Eddie Kadi, un comédien né à Kinshasa et qui présente l’émission « UK Afrobeats Chart », que la BBC a lancée en 2021 pour refléter l’engouement que suscite le genre sur les îles britanniques.

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Selon Eddie Kadi, ce succès tient, outre la fusion des genres qui rallie une très large audience, à l’époque. « Les réseaux sociaux, le Covid-19 et la danse ont joué un rôle énorme. La culture s’échange aujourd’hui de manière beaucoup plus rapide », pointe-t-il avec enthousiasme. Une personne pauvre, chez elle, peut aujourd’hui bricoler un tube viral, dit-il, soulignant qu’un certain plafond de verre s’est ainsi brisé s’agissant de la musique africaine. « Il n’y a plus besoin d’intermédiaire pour raconter votre histoire. Du coup, des gens qui ne sont pas d’origine africaine y ont maintenant accès. Il y a aussi plus d’Africains dans les sphères de décision pour parler, porter, orienter. »

Capitalisme jusqu’au-boutiste

A Lagos, on salue aussi le rôle crucial de l’immense diaspora du Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique (220 millions d’habitants) et qui possède de fortes communautés à Londres, Houston ou Atlanta. Elle a toujours eu l’habitude de ramener des enregistrements du pays et a été la première à remplir les salles de concert.

Plus profondément, on estime que ce succès n’aurait pas existé sans la pugnacité et le sens des affaires des Nigérians. « Nous sommes très conscients du marché », souligne Titilope Adesanya, pointant que ses artistes savent pousser ce qui marche commercialement, rompus au capitalisme jusqu’au-boutiste de Lagos : « Nous n’abandonnons jamais, nous regardons toujours l’étape d’après. C’est une malédiction et une bénédiction à la fois. »

Cette agilité s’illustre dans les constantes collaborations réalisées par les artistes nigérians, entre eux mais aussi avec des étrangers. « On a la musique, mais on se dit qu’on a besoin de plus d’oreilles et que si on s’associe à untel ou untel, ça donnera quelque chose de dément », poursuit la directrice des opérations d’Empire Africa. Maintes fois, la formule a marché : après le carton de One Dance, de Drake et Wizkid (2016), il y a notamment eu les multiples collaborations sur l’album The Gift, de Beyoncé (en 2019, avec encore Wizkid mais aussi Tekno et Yemi Alade), ou plus récemment Hypé, où Aya Nakamura a invité Ayra Starr.

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Ces dernières années, une vague house venue de Johannesburg a cependant déferlé, menaçant la domination de l’afrobeats sur la scène africaine : l’amapiano. Une house lente, matinée de sonorités sud-africaines et venue des townships. DJ Obi s’en souvient avec un regard amusé, lui qui se targue d’avoir, le premier, ramené à Lagos ce son découvert dans un taxi. « L’amapiano tient le dancefloor depuis un bon moment maintenant, mais l’afrobeats est toujours solide, assez pour tenir la compétition », prédit-il.

De fait, cette fois encore les artistes nigérians ont déployé leur meilleure arme : la fusion. On ne compte plus ceux qui s’associent aux DJ et producteurs sud-africains (Unavailable, de Davido et Musa Keys) ou qui s’en inspirent allègrement. Le chanteur Kcee a ainsi relancé sa carrière, l’année dernière, avec Ojapiano, un rythme entêtant… de flûte traditionnelle igbo. A Lagos, on a tellement absorbé le genre que beaucoup l’appellent désormais l’« afropiano ».

 

 

source :le monde

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