11212024Headline:

PRÉPUCE STORY par Béatrice AMMERA MENDO

PRÉPUCE STORY

Béatrice AMMERA MENDO

On dirait des bonzes qui, ayant jugé austère leur traditionnel paréo orange, se seraient permis quelque frivolité en se drapant dans des pagnes bariolés. Les pagnes de mes bonzes des tropiques arborent des coquillages, des machines à coudre, des cacahuètes, des figures géométriques, des paramécies avec leurs cils vibratiles, des yeux, et même le logo d’un tristement célèbre parti politique. Mes bonzes sont des enfants, des garçonnets dont les plus âgés semblent ne pas avoir 4 ans et les plus jeunes à peine deux ans. Dans leurs yeux se laisse lire le reflet stoïque du début de la sagesse… cette sagesse-là que nous apprend l’expérience de la douleur.

Même ces jouets dans leurs mains, placés là par une infirmière décidée à distraire ces « petits hommes » n’égayent pas longtemps les mines anxieuses des petiots endoloris. Une chenille articulée, un camion de pompier, un ballon, un petit train, un téléphone qui a des yeux et une bouche, une tablette de jeu qui a des pattes, tout ce qui les amuse d’ordinaire est là qu’ils tiennent nonchalamment dans leurs petites mains.

Environ une semaine avant, ils ont effectivement combattu le bon combat… à la suite duquel un prépuce vaincu par k.o s’est vu détaché de leur virilité juvénile, puis enterré dans un lieu tenu secret par des parents superstitieux, ou simplement jeté parmi les milles déchets organiques de l’hôpital. Voilà pourquoi mes garçonnets sont drapés dans leurs pagnes, rien, comme un malencontreux pantalon, ne doit comprimer ce qui a été coupé.

L’appendice mutilé (pénis c’est encore un nom trop ronflant pour lui) qui git dans un pansement et qui est douloureux supporte à peine le léger effleurement du pagne. Même si mes bonzes ne sont pas restés zen devant la morsure des ciseaux, leur bravoure a été célébrée à grand renfort de cris partisans et dithyrambiques de papa et de maman, qui ont par la suite gavé le héros du jour afin que la nourriture et toutes les sucreries qui vont avec adoucissent la douleur.

Ils n’ont peut-être pas compris ce qui leur est arrivé ce jour-là où ils ont perdu un peu d’eux-mêmes, mais une chose est sûre, ils ont bien compris leur douleur. Comme ce petit d’homme qui, sortant de l’intermittente torpeur dans laquelle l’a plongé son jouet, a soudain les yeux qui s’affolent quand passe un infirmier : « Mômaaaa, le voilà ! C’est le méchant monstre ! C’est lui qui a gâté mon pipi ! Rrrraaah, il a gâté mon pipiiiii, ouiiiinnnn ».

Une vingtaine d’yeux d’enfants regardent passer le bourreau, sans se laisser abuser par le sourire trompeur dont il les gratifie. Mes bonzes des tropiques sont là dans cette salle d’attente, zens comme des agneaux qui seront immolés peuvent l’être devant un aiguiseur de couteaux. Entre quelques furtifs regards de garçonnets insouciants, de vrais regards de vétérans de la guerre menée contre une douleur aussi fulgurante qu’inattendue.

La guerre est derrière eux, il y a juste ce pansement entre leurs jambes frêles qui leur rappelle qu’il y a encore des batailles à gagner. Des batailles comme le douloureux renouvellement d’un pansement.

Ils sont donc méfiants. Ils portent dans leurs petits corps la trace cuisante du passage de la lame impitoyable de ce bourreau des prépuces. Ces petits gladiateurs aujourd’hui triomphants, sont descendus dans l’arène de la virilité, ont affronté un lion coupeur de zizis petits comme des dés à coudre, y ont laissé une partie d’eux-mêmes, partie décrétée inutile par une tradition millénariste. Ce qu’ils ont perdu en prépuce, ils l’ont gagné en respect, ils ont à présent leur morphologie d’hommes bien comme il faut, là où il faut.

Ainsi mutilés pour le bien des bonnes mœurs sanitaires de la communauté, ils feront tout de leur virilité triomphante, tout, sauf les bonzes.

Je les laisse là mes bonzes… les observer m’a permis d’oublier ma propre douleur… J’ai une dent à faire arracher. Une dent cariée qui ira certainement raconter ma lâcheté devant ma propre douleur à quelque prépuce rencontré dans une poubelle d’hôpital.

Béatrice AMMERA MENDO, qui heureusement n’a pas été circoncise, et qui vous permet par la même occasion de remarquer qu’on ne dit pas “Béatrice n’est pas été circonciée”… mais circoncise, c’est donc le féminin de circoncis… qui existe quand même, allez donc savoir pourquoi. Pardon, on ne dit pas non plus “on a circoncié mon fils”… le pauvre petit a été circoncis.

veatrice mendo

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